1er mai - Journée du Printemps et du Travail

Pourquoi les Russes apprécient-ils tant le 1er mai?

Oleg Fedorov - 01 mai 2019

La principale fête soviétique, née comme un jour de solidarité avec les travailleurs, a presque perdu son sens originel, mais l'habitude de bien se reposer au début du mois de mai persistera à jamais en Russie.

Aujourd'hui, en Russie, le 1er mai est principalement associé à trois, quatre, voire jours fériés*, aux maisons de campagne, aux barbecues, et aux vols à l'étranger pour ceux qui en ont les moyens, un peu comme des vacances en bonne et due forme. Mais au début du siècle dernier, la situation était loin d’être aussi rose. Les travailleurs participaient aux manifestations du 1er mai, exigeant des conditions de travail équitables, souvent au péril de leur vie.

TJour de colère des travailleurs

Le 1er mai est devenu la fête internationale du travail après la tragédie de Haymarket Square à Chicago, dans l'Illinois, aux États-Unis. En 1886, début mai, à Chicago, comme dans d'autres villes d'Amérique, des manifestations réclamant une journée de travail de huit heures ont été organisées : aujourd'hui, cela semble aller de soi, mais à la fin du XIXe siècle, de nombreux magnats ne voulaient pas donner une telle liberté à leurs employés.

« Aucun événement n'a plus influencé l'histoire du travail dans l'Illinois, aux États-Unis et même dans le monde, que l'affaire du Haymarket de Chicago », a écrit William J. Adelman. Le 4 mai, à la suite d'un affrontement entre travailleurs et forces de l’ordre, quatre travailleurs et sept policiers sont morts, à la suite de quoi le tribunal local a envoyé cinq militants à la potence, alors que leur culpabilité dans les violences n'était pas clairement prouvée. Trois ans plus tard, la conférence de Paris, qui réunissait des représentants de syndicats du monde entier, a décrété le 1er mai fête du Travail en mémoire des personnes décédées à Chicago.


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De Chicago à la Russie

En Russie, où, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, le mouvement ouvrier n'en était qu'à ses balbutiements, la lutte entre les travailleurs et les autorités avait souvent de lourdes conséquences, certains ayant perdu la vie. Avant chaque 1er mai, surtout après la révolution infructueuse de 1905, le gouvernement craignait les grèves de masse et les affrontements avec la police et prenait des mesures de sécurité sévères. Les révolutionnaires, au contraire, appelaient les ouvriers à se rebeller contre les patrons et le tsar.

Bien entendu, le 1er mai dans l’Empire russe n’était pas considéré comme un jour férié : les propriétaires d’usines menaçaient les travailleurs de licenciement pour absentéisme ce jour-là. Les menaces, cependant, n’ont pas fonctionné - jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale, les manifestations et les grèves de mai n’ont fait que grandir. Les gens réclamaient une journée de huit heures et le renversement de l'autocratie.

En 1914, quelques mois avant le début de la guerre, les affrontements du 1er mai étaient particulièrement intenses. « À 4 heures de l'après-midi… le drapeau rouge a été hissé et la place Loubianka a été remplie de chants révolutionnaires. Ensuite, d’importantes forces de gendarmes et de policiers brutaux ont attaqué les manifestants. Les ouvriers ont commencé à jeter des pierres sur les gendarmes », cite le journal Rossiïskaïa Gazeta les propos d’un contemporain des événements.

Boris Koustodiev

Célébrations soviétiques

En 1917, la monarchie est tombée, puis, lors de la Révolution d’octobre, les bolcheviks sont arrivés au pouvoir. Le 1er mai, célébration interdite et tabou, a brusquement obtenu le statut de congé officiel et obligatoire. Vladimir Lénine en personne est intervenu lors des premières célébrations et les années suivantes, seul l'anniversaire de la révolution se situait au-dessus du 1er mai dans la hiérarchie des jours fériés.

Au cours des premières années, c’était une journée de solidarité à la tonalité plutôt agressive, lorsque l’URSS appelait les travailleurs du monde entier à se révolter contre le capitalisme. « Préparez-vous pour une grande bataille, camarades travailleurs, arrêtez les usines le 1er mai ou prenez les armes... », a insisté Lénine dans son article « Premier mai ». Peu à peu, cependant, la perspective d’une révolution mondiale s'est estompée et le 1er mai est devenu la fête classique d'un pays autoritaire : défilés, processions et éloges adressés aux dirigeants avisés.


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Vacances de printemps

Cependant, le 1er mai a toujours eu une dimension humaine, loin des slogans sur la victoire du communisme. Quoi qu'on en dise, dans la majeure partie de la Russie, ce n'est que début mai que le vrai printemps ensoleillé commence et les citoyens soviétiques étaient très heureux d’avoir des jours fériés au début de la saison chaude.

« Quand j'étais enfant, j’adorais tout simplement les congés du 1er mai. C’était le jour où j’accompagnais grand-mère et grand-père à la manifestation : une belle robe, un drapeau et des ballons à la main, des visages heureux, le soleil, grand-père avec son appareil-photo… », se souvient un membre du groupe Reportages de l’URSS, dont l’enfance a eu lieu dans les années 1970.

Jusqu'à présent, malgré le fait que l'URSS ait cessé d'exister en 1991, le 1er mai est perçu comme une fête très soviétique. « Les gens ne se rappellent pas de la solidarité des travailleurs, mais des moments passés avec leurs parents, de la manière dont papa me portait sur ses épaules pour le 1er mai, ou comment maman m’emmenait dans son groupe de collègues de l’usine », a écrit le journaliste Viktor Lochak à propos des participants à la manifestation traditionnelle de 2018.

Cela semble logique : aujourd'hui en Russie, le 1er mai, personne ne se bat avec la police et la journée de solidarité des travailleurs est passée d'une fête idéologique à une fête de printemps ordinaire, simple excuse pour ne pas aller travailler pendant quelques jours.


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C'est notre fête, camarade

Si pour vous Lénine et Karl Marx vous semblent plus amicaux qu’Adam Smith. Si pour vous L’Union Soviétique était le bon côté dans la lutte entre les deux blocs. Si enfin vous aimez le rouge, alors fêter le premier mai en Russie est ce que vous auriez de mieux à faire. Même si cela a perdu de son importance, le défilé de la fête du travail devient intéressant pour tout étranger qui voudrait se retrouver un temps en URSS. Le partit communiste se montre à l’occasion de cette fête et en Russie c’est bien sûr en arborant le drapeau rouge d’antan et les portraits du camarade Lénine qu’on descend dans la rue. Pour les purs et durs, Staline sera aussi de sortie. D’autres organisations politiques font aujourd’hui le déplacement, des anarchistes à ceux qui prônent un retour à l’Empire russe, bref il y en a pour tous les goûts.

Les grand-mères vous raconteront qu'avant défilaient tous les travailleurs de toutes les usines, comme chaque régiment défile le 14 juillet sur les Champs Elisées. Les jeunes vous diront que le premier mai c'est le premier jour après l'hiver où on peut faire griller des saucisses à la datcha. Chacun son époque!

La Russie de Vladimir Poutine renoue avec la tradition du 1er-Mai

Le 1er-Mai, fête du Travail et des Travailleurs, célébré dans de nombreux pays partout dans le monde, a donné lieu en Russie soviétique à des célébrations solennelles. Avec la perestroïka, le pays a changé d’époque. Que reste-t-il des célébrations de la fête du Travail? Le 1er-Mai a-t-il gardé son importance en Russie ?

Avec la perestroïka, le pays a changé d’époque

Lors de la perestroïka [la «reconstruction» entreprise par Mikhaïl Gorbatchev notamment, 1985-1991 NDLR], la Russie entre dans une nouvelle période de son histoire. Les célébrations ne sont plus au goût du jour.
En 1992, la fête est renommée : on parle désormais de la « fête du Printemps et du Travail ». Un intitulé qui montre que le 1er-Mai est devenu beaucoup moins politique. Pour les Russes aujourd’hui, le 1er-Mai, c’est surtout le début des vacances de mai qui durent jusqu’aux célébrations de la victoire sur l’Allemagne nazie le 9 mai 1945. C’est une période très appréciée car les beaux jours arrivent et les Russes en profitent pour prendre du bon temps et quand ils le peuvent, passer quelques jours à la datcha, la maison de campagne. C’est ce qui ressort des enquêtes d’opinion : selon le centre Levada, ce qui est le plus important pour les Russes, c’est de passer le 1er-Mai en compagnie de ses proches.

Le pouvoir russe reste attaché à cette tradition

Tout comme une partie de la population qui ressent de la nostalgie à l’égard de l’URSS. Depuis 2013, Vladimir Poutine, remet par exemple des décorations le 1er-Mai. Le président distingue les « héros du travail de la Fédération de Russie ». Les personnes honorées viennent aussi bien de l’industrie, du sport ou de la culture.

D’une manière générale, on constate depuis 2012, quand Vladimir Poutine a entamé son troisième mandat, que le 1er-Mai renoue avec les défilés syndicaux. En 2014, on a pu par exemple assister au premier défilé du 1er-Mai sur la place Rouge depuis la chute de l’Union soviétique. Environ 100 000 personnes y étaient rassemblées. Il s’agissait avant tout d’une manifestation de soutien à Vladimir Poutine. Le contexte était particulier il est vrai puisque le président russe venait d’officialiser le « rattachement » de la Crimée à la Fédération de Russie. L'an dernier ils étaient à peu près aussi nombreux.

 

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